Législation du doublage et de la voix off dans l’audiovisuel : un cadre en pleine évolution

Le doublage et la voix off, piliers de l’industrie audiovisuelle, permettent de rendre les contenus accessibles à des publics internationaux tout en enrichissant la narration. Cependant, ces pratiques sont encadrées par une législation complexe, qui varie selon les pays et évolue avec les avancées technologiques, notamment l’essor de l’intelligence artificielle (IA). Cet article explore les cadres légaux régissant le doublage et la voix off en France et à l’international, en mettant l’accent sur les droits des artistes, les contrats, les rémunérations et les enjeux liés à l’IA.

En France, l’audiovisuel est réglementé à deux niveaux : national, via l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), et européen, à travers la directive Services de médias audiovisuels (SMA). Ces réglementations visent à garantir la liberté de communication, la protection des mineurs, l’accessibilité des contenus et le respect des droits d’auteur et voisins.

Droits des artistes-interprètes

Les comédiens de doublage et de voix off sont considérés comme des artistes-interprètes, protégés par le Code de la propriété intellectuelle (CPI). Ce dernier confère des droits voisins, qui permettent aux artistes d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de leur prestation vocale et d’en percevoir une rémunération. Ces droits s’appliquent à la fixation, la reproduction et la communication au public de leur voix. La durée de protection est généralement de 50 ans à partir de la première communication publique de la prestation.

« Toute utilisation de la voix d’un artiste sans consentement préalable est interdite et constitue une atteinte à la propriété intellectuelle », rappelle Damien Laquet, un professionnel du doublage.

Contrats et conventions

Le cadre contractuel est essentiel pour protéger les droits des comédiens. L’Association LESVOIX.fr, en collaboration avec le Syndicat des Producteurs de Sons pour la Publicité (SPSP), a élaboré un modèle de contrat pour les voix off publicitaires, respectant le Code du travail et le CPI. Ce contrat précise les modalités d’exploitation (radio, TV, Internet) et la rémunération, qui inclut :

Un cachet pour la prestation, basé sur un salaire minimum (SMIC) multiplié par le nombre d’heures travaillées.

Des droits d’exploitation (droits voisins), négociés en fonction de la durée, des supports et des territoires de diffusion.

Pour le doublage, la convention DAD-R (Droits des Artistes dans leur activité de Doublage) fixe les règles de rémunération. Depuis 2004, elle impose un paiement à la ligne (50 caractères par ligne), avec un minimum garanti et des pourcentages supplémentaires pour les droits d’exploitation. Cette convention interdit les forfaits horaires ou par produit, garantissant une rémunération équitable.

« L’Accord National des Salaires du Doublage détermine le prix à la ligne pour tout type de travail de doublage, afin que l’achat de droits soit valide », explique lesvoix.fr

Statut des intermittents

La majorité des comédiens de doublage et de voix off en France bénéficient du statut d’intermittent du spectacle, unique en Europe. Ce statut permet de travailler pour plusieurs employeurs sous forme de CDD d’usage, avec des droits aux congés payés gérés par la Caisse des Congés Spectacles (Audiens). Pour maintenir ce statut, les artistes doivent justifier d’un minimum de 507 heures de travail sur 12 mois.

Cependant, ce système est exigeant, car les périodes creuses peuvent compliquer l’atteinte de ce seuil.

Enjeux internationaux

À l’échelle européenne, la directive SMA, révisée en 2018, établit un socle commun pour les services audiovisuels, incluant le doublage et la voix off. Elle promeut la production d’œuvres européennes, l’accessibilité pour les personnes handicapées (via l’audiodescription et le sous-titrage) et la protection des mineurs.

Les plateformes comme Netflix doivent respecter ces règles, notamment en matière de confidentialité des projets, souvent régie par des accords de confidentialité (NDA).

Dans des pays comme les États-Unis, le doublage est moins réglementé, mais les contrats sont strictement négociés par des agents ou des syndicats comme la SAG-AFTRA. Les rémunérations varient fortement selon la notoriété de l’artiste et l’ampleur du projet, allant de 250 à 300 € par jour pour un débutant à des cachets à six chiffres pour des stars.

L’impact de l’intelligence artificielle

L’essor de l’IA générative bouleverse le paysage du doublage et de la voix off. Des outils de synthèse vocale permettent de reproduire des voix humaines, menaçant les emplois des comédiens. En France, l’Association LESVOIX.fr et des syndicats comme le SFA et SNAPAC-CFDT militent pour une régulation. Leur pétition #TouchePasMaVF, qui a recueilli plus de 230 000 signatures, appelle à légiférer pour protéger les artistes et préserver la diversité culturelle.

« L’IA va, je pense, supprimer pas mal de travail pour les comédiens. Ces liens ne pourront jamais remplacer une personne, notamment dans sa touche artistique », confie Mélissa, chargée de production à Adrenaline Studio. Mélissa Rosenblatt, Chargée de production audiovisuelle passionnée

En 2024, un label « Interprétation humaine » a été lancé par le Syndicat national de l’édition pour valoriser les prestations humaines, notamment dans le livre audio. Ce mouvement reflète une volonté de protéger l’authenticité artistique face à l’IA.

Contrats de confidentialité et droits d’image

Dans le cadre de projets sensibles, comme ceux pour Netflix, les contrats de confidentialité sont monnaie courante. Ils interdisent aux comédiens, techniciens ou stagiaires de divulguer des informations sur les projets avant leur sortie.

De plus, la voix étant considérée comme une donnée à caractère personnel (article 9 du Code civil), son utilisation nécessite un consentement écrit, notamment pour les mineurs.

Rémunération et défis économiques

La rémunération dans le doublage et la voix off varie selon le type de projet :

Doublage : Payé à la ligne (environ 4 à 6 € par ligne en France), avec des compléments pour les droits d’exploitation.

Voix off publicitaire : Forfaitaire, de 100 à 750 € de l’heure, selon l’expérience et la diffusion. Les droits voisins peuvent représenter jusqu’à 80 % du cachet.

Documentaires et narration : Souvent négociés au gré à gré, avec un minimum basé sur le SMIC.

Depuis le Covid, l’industrie audiovisuelle fait face à des périodes creuses, notamment en été, ce qui complique la stabilité financière des intermittents.

Perspectives d’avenir

La législation du doublage et de la voix off doit s’adapter aux évolutions technologiques et économiques.

Les professionnels appellent à une régulation plus stricte de l’IA pour protéger les emplois.

Une harmonisation européenne des droits voisins pour garantir une rémunération équitable.

Un soutien accru à la formation, via des écoles comme l’EFDV ou l’AFDAS, pour préparer les nouvelles générations.

« Il faut être passionné, sinon ça n’ira jamais. C’est un métier de passion », insiste Mélissa, soulignant l’importance de la résilience face aux défis du secteur.

Le doublage et la voix off, au cœur de l’audiovisuel, reposent sur un cadre légal complexe visant à protéger les artistes tout en favorisant l’accessibilité des contenus. En France, des conventions comme la DAD-R et des organismes comme l’Arcom garantissent des pratiques équitables, mais l’arrivée de l’IA pose de nouveaux défis.

À l’international, la directive SMA et les pratiques locales façonnent un paysage varié. Alors que le secteur évolue, la mobilisation des professionnels, comme à travers #TouchePasMaVF, montre leur détermination à préserver l’humain au cœur de cet art. Pour les aspirants comédiens, la passion et la formation restent les clés pour naviguer dans ce milieu exigeant mais riche en opportunités.

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